Plus haletant que les Marseillais, le monde entier a depuis quelques semaines une nouvelle téléréalité à regarder : le procès de Johnny Depp et de son ex-femme Amber Heard. Alors ce n’est pas le premier procès surmédiatisé d’Hollywood mais celui-ci a une résonnance inédite. Etalage de linge sales et détails intimes scabreux diffusés en direct. Sans filtre, sans montage : il n’y a plus de secrets dans la maison des secrets. Ce procès est une téléréalité 2.0 qui déchaîne les passions et les réseaux sociaux.

Sur la toile, tout le monde pense tenir un rôle. Les internautes se font enquêteur et juge. Chaque attitude est épiée, analysée. Et même si vous voulez y échapper, que vous vous dites « c’est leur vie privée, ça ne me regarde pas », les algorithmes vous forcent à choisir un camp. Conséquence ? Cet épisode de justice provoque le malaise. Les réseaux sociaux redéfinissent la notion du bien et du mal et finalement, la stan culture pourrait avoir un rôle décisif quant à l’issu du procès.  

Hissons les voiles.

Quand la justice se fait spectacle

À l’origine, une tribune publiée en 2018 dans le Washington Post, où Amber Heard évoque des violences conjugales sans citer le nom de son ex-mari Johnny Depp. L’acteur de 58 ans, qui a toujours nié les violences envers son ex-épouse, se sent visé et porte plainte pour diffamation, réclamant un butin de 50 millions de dollars de dommages et intérêts. En retour, Amber Heard porte également plainte pour les mêmes raisons, réclamant quant à elle le double soit 100 millions de dollars.

En 2020, il y a déjà eu un procès, à Londres cette fois. A l’époque, Johnny Depp avait intenté un procès pour diffamation à la société éditrice du tabloïd The Sun après la publication d’un article en 2018 le qualifiant de « wife beater », un mari violent. Procès qu’il a perdu, le juge ayant estimé que les qualifications du Sun étaient « substantiellement vraies ».

Johnny Depp et Amber Heard se sont rencontrés sur le tournage de Rhum Express en 2011, avant de se marier en février 2015 à Los Angeles. Amber Heard demande rapidement le divorce, prononcé avec fracas début 2017. 15 mois seulement après le mariage.

L’actuel procès qui se tient à Fairfax (et non à Cancun) a débuté le 18 avril. Il prendra fin dans quelques jours. Il est diffusé au quotidien sur deux chaînes TV américaines (Court TV et Law & Crime) et aussi en direct sur Youtube. Des milliers d’extraits sont ainsi repris sur les réseaux sociaux.

Pourquoi est-ce qu’on ne voit QUE CA sur les réseaux sociaux ?

  1. C’est un procès qui dévoile l’intimité de deux stars mondiales. Ca n’arrive pas souvent et avouons-le, c’est particulièrement croustillant d’avoir des détails sur le pénis d’un sex symbol. Coucou voyeurisme.
  2. C’est un procès qui fait écho à des sujets sociétaux et d’actualité : les violences sexuelles et domestiques. Deux ans seulement après le mouvement #MeToo.
  3. C’est un procès qui par conséquent fait réagir, et ça, les réseaux sociaux adorent. Ca like, ça partage, ça commente. Les algorithmes se régalent. Au final, même si on ne veut pas s’y intéresser, on en vient à tanguer.

Il y a des spectateurs ET des acteurs.

Sur les réseaux sociaux, (YouTube, Twitter et TikTok en tête), les internautes analysent tous les témoignages, les gestes, les propos. Des résumés sont présentés chaque jour par des médias… et des internautes qui s’improvisent média.

Le procès est ainsi dépecé en de milliers de vidéos virales qui sont retirés de leur contexte. Et c’est là où ça devient grave. On ne sait pas qui a témoigné avant, dans quel contexte cette personne est appelée à la barre… L’opinion publique est biaisée. Les réseaux sociaux ne sont définitivement pas le meilleur moyen pour suivre un procès puisque tout est à nuancer.

La flotte Depp

Mais pourtant tout le monde en va de son interprétation. Une véritable campagne pro-Depp s’est déployée sur le web, particulièrement sur Twitter et TikTok où il n’y a PAS DE QUARTIER. La popularité des #justiceforjohnny et #teamjohnnydepp sur les réseaux sociaux en dit long sur le soutien indéfectible des admirateurs de l’acteur. Les Stans.

Cap sur Twitter où certains tweets pro-Depp ont cumulé plus de likes que tous les abonnés réunis d’Amber Heard soit 210 000.

Sur Tik Tok, le hashtag #justiceforjohnnydepp comptabilise 11.6 milliards de vues et #johnnydeppisinnocent environ 3,4 milliard. Du côté des fans d’Amber Heard, le hashtag #justiceforamberheard en compte 42,7 millions. Les recherches sur la plateforme font également apparaître #amberheardcancelled, #amberheardsucks et #amberheardistrash.

C’est d’ailleurs sur cette plateforme qu’on retrouve la majorité des contenus liés au procès : commentaires des déclarations de l’un ou de l’autre, analyses complotistes pour prouver les mensonges d’Amber Heard, reprises d’extraits de témoignages de l’actrice parodiés et « mémisé » : « My dog stepped on a bee ».

C’est parfois très drôle et c’est ça, qui une nouvelle fois, devient très grave parce qu’on en oublie les causes du procès. On parle quand même d’addictions, d’agressions physiques et de viols domestiques. Le traitement sur les réseaux sociaux (via les codes légers propres aux plateformes) fait virer de bord l’enjeu du procès.

Quelles peuvent être les conséquences de cet acharnement ?

Parce qu’à ce stade du procès, Internet semble en grande majorité avoir pris parti : Amber Heard serait le bourreau et Johnny Depp la victime. Et c’était le cas avant même qu’Amber Heard n’intervienne à la barre.

Des conséquences à cette communication massive et hors de contrôle, il y en a déjà :

  1. Amber Heard est cyberharcelée.
  2. Depuis le témoignage de Johnny Depp, une pétition tourne sur le web pour demander l’exclusion de l’actrice du film Aquaman 2. Elle comptabilise plus de 4,2 millions de signatures.
  3. Quelques jours avant de passer à la barre, l’actrice aurait licencié son équipe de relations publiques. L’équipe était chargée de veiller sur sa réputation pendant les six semaines du procès. 
  4. Des victimes d’agressions se sentent incomprises et pourraient à l’avenir garder le silence.

Au large

  • Est-ce que finalement, l’objectif de ce procès pour Johnny Depp qui affirme avoir déjà tout perdu, ne serait pas la reconquête de l’opinion publique ? Conquise, peut-elle lui permettre de retrouver ses grands rôles hollywoodiens ?
  • Quelle impartialité de la justice puisqu’il est impossible d’isoler le juge ou les jurés, de les empêcher de consulter réseaux sociaux ?
  • Quelles sont les responsabilités de ces plateformes ?

Si Amber Heard s’ajoutera peut-être à la liste de ceux qui ont failli capturer le capitaine Jack Sparrow, nous ne sommes pas à l’abri de voir arriver en France un procès de cette envergure médiatique.

Car désormais, depuis le 1er avril, toutes les audiences peuvent faire l’objet d’une demande de tournage, y compris celles habituellement fermées au public. Une petite révolution en France, où il était strictement interdit de photographier et de filmer les audiences depuis 1954. Le vent a bien tourné.


Amandine Munier

S'intéresse aux médias sociaux, à l'évolution de l'information à l'heure du numérique pour tenter de comprendre ce qui fait le monde d'aujourd'hui. La pâtisserie, c'est cool aussi.

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